Ancienne étudiante à ITM Paris, Julie travaille pour Cinébé, un atelier SFX spécialisé dans la création de faux-bébés et accessoires liés à la maternité pour les tournages. Elle revient pour nous sur son parcours et ses projets.
Témoignage de Julie
Quel souvenir gardez-vous de votre formation à ITM ?
Je me rappelle que j'étais à 200% lors de l'atelier SFX chez Kameleon : on nous donnait un thème et on pouvait fabriquer la prothèse de créature qu'on voulait. Fantastique ! L'équipe était là pour nous apprendre plein d'astuces et nous aider dans nos projets, c'était vraiment une super immersion.
L'école pour moi, c'était le lieu où tester plein de choses avec les intervenants, et les mettre en pratique ensuite durant les stages.
Mes expériences de stage avec ITM Paris sont variées : de la vente avec Armani, du spectacle vivant à l'Opéra Bastille, des courts-métrages avec des étudiants en école de cinéma. Ça m'a permis de mettre un pied dans tous ces milieux très différents et me faire une idée concrète des possibilités.
Qu'est-ce qui vous a amené à vous spécialiser dans les faux bébés et accessoires liés à la maternité pour le cinéma ?
J'y suis arrivée au gré des rencontres. Avant de me lancer vraiment dans l'aventure Cinébébé en 2017, j'ai passé 5 ans à éprouver ce que je voulais faire en maquillage. J'ai fait de la télé, des tournages corporate, un peu de vente... ça ne me plaisait pas.
J'ai aussi bossé 4 ans dans un cabaret et beaucoup d'événementiel, là je me suis éclatée. J'avais des projets FX à coté: des masques, des prothèses, des blessures, du faux tatouage, des animaux, même un costume de yéti. C'était toujours des projets artistiques avec des petits boulots alimentaires en parallèle car je ne voulais pas m'enfermer dans un job à plein temps qui m'aurait empêché de faire de la création.
En 2015 j'ai fait la connaissance de Viridiana Ferrière, qui avait monté Cinébébé seule 7 ans auparavant. Nous avons travaillé ensemble sur la création d'un modèle en silicone, et j'ai ensuite fait le suivi du bébé en plateau. Comme nous avons bien accroché et que nos parcours se complétaient bien, nous avons décidé de travailler ensemble. C'est devenu mon activité principale en 2018 et comme je travaille à l'atelier, j'ai du temps pour faire d'autres projets.
Pour la petite anecdote: lors d'un stage de deuxième année à ITM, j'ai été amenée à faire un faux-bébé mort avec une autre élève sur un court-métrage étudiant. Je ne pensais pas que ça deviendrait ma spécialité 6 ans plus tard !
Pouvez-vous me parler plus en détail de la fabrication d'un bébé réaliste ?
Les bébés réalistes en silicone sont créés de A à Z dans notre atelier : nous sculptons d'après photos et vidéos, en terre ou plastiline. C'est un process très documenté et très long, qui prend plusieurs semaines. Puis nous fabriquons un moule, dans lequel nous pouvons tirer plusieurs exemplaires en silicone d'une même sculpture.
On fait des finitions pour enlever les imperfections du tirage. Ensuite on peint à l'éponge et à l'aérographe, pour avoir une carnation réaliste, ce qui peut prendre plusieurs jours. Finalement, on implante les cheveux un à un, on les fixe dans le silicone à l'aide d'une aiguille spéciale. C'est long mais le rendu de la chevelure est alors très réaliste.
Nous avons aussi une catégorie de bébés en plastique vinyle: ce sont des bébés déjà sculptés, dont la tête et les membres sont en plastique souple et le corps en tissu. Nous travaillons sur les carnations, l'implantation des cheveux ainsi que les assemblages. Ces bébés sont malléables dans leurs postures mais ne peuvent pas être aussi "animés" que les silicones et doivent être habillés.
Pour quels types de projets fait-on appel à vous ?
Principalement pour l'audiovisuel et le cinéma. Nous travaillons beaucoup avec des séries, des pubs, ainsi que des longs métrages. Parfois nous avons des demandes de la part de compagnies de spectacle, mais c'est plus rare.
La législation française est très stricte sur les conditions de travail des enfants mannequins: commissions de santés, autorisations DDASS etc.
Entre 3 mois et 3 ans, un enfant ne peut tourner qu'une heure par jour : c'est donc extrêmement contraignant pour les productions. Dans ces cas, nos modèles en vinyles sont très utilisés en mise en place, en figuration ou en renfort lorsque l'équipe tourne avec un vrai bébé. Nous créons alors une doublure, afin de valoriser le temps de tournage du bébé-acteur.
En France, on ne peut pas employer un enfant de moins de 3 mois: pour les séquences d'accouchement c'est un vrai casse-tête, car à 3 mois le bébé acteur est bien trop éveillé et grand. Nous sommes encore plus présentes dans ces séquences particulières: nous intervenons sur le plateau avec des modèles silicone "naissance" et nous conseillons la mise en scène sur les mouvements les plus réalistes et la prise en main.
Comment s'organise votre travail au quotidien ?
Je passe beaucoup de temps sur l'administratif: il faut être réactive sur les demandes des productions. L'important c'est de trouver l'équilibre entre ces moments de gestion essentiels, et le temps de fabrication.
Je vais à l'atelier quasiment tous les jours: soit parce que j'ai des commandes, soit pour prendre de l'avance sur un travail de fond (comme une création de nouveau modèle).
Je fais des couleurs uniquement en journée, pour profiter de la lumière naturelle (en hiver, ce temps là est largement restreint, je dois faire attention aux horaires), par contre je suis plus tranquille pour implanter des cheveux le soir, car il y a moins de distractions. Il n'y a pas vraiment de planning pré-défini de mes journées pour l'instant, je vois en fonction de la charge de travail. L'avantage d'être sa propre patronne, c'est qu'on organise son temps comme on le souhaite, mais il faut beaucoup d'auto-discipline pour être efficace.
Par contre sur un rush ou un gros projet, c'est très dense. Je monte une équipe et on passe plusieurs jours tous ensemble, avec un rythme très soutenu. En général c'est dans une bonne ambiance, on se motive les uns les autres et on garde de chouettes souvenirs de ces challenges.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants d'ITM qui souhaitent se lancer dans le SFX ?
Lorsqu'on dit effets spéciaux, on pense immédiatement au T-rex de Stan Winston dans Jurassic Park ou aux zombies de Walking Dead. En France on est moins dans le "monstre", les grosses productions demandent beaucoup plus de réalisme.
Les SFX sont plus diversifiés que ce qu'on imagine et avec beaucoup de champs de pratique: cinéma mais aussi événementiel, installations, scène etc... Il n'y a pas que des sculpteurs, c'est un travail d'équipe. Il y a des postes techniques comme les animatronics, le moulage, l'implantation, qui font partie intégrante du métier et qui nécessitent des compétences spécifiques et très recherchées.
Je dirais qu'il faut tester un peu tout pour considérer ses forces et ses faiblesses. On peut ne pas être à l'aise en sculpture mais extrêmement minutieux sur l'implantation (qui se rapproche du travail de postiche), avoir l’œil pour les nuances de couleurs, ou être hyper efficace en pose de prothèse sur plateau.
Peu importe la spécialité, quand on est en école il faut profiter de toutes les occasions pour se former: participer à des courts-métrages étudiants qui demandent souvent des FX créatifs, se faire la main sur des projets perso, ne pas hésiter à se lancer des défis et bien sûr, être curieux de tout !
Quels sont vos futurs projets ?
Chez Cinébébé, notre objectif 2019 est de développer la R&D [Recherche&Développement] sur différents points techniques, comme des armatures ou de l'animation: c'est l'occasion de collaborer avec d'autres personnes et de faire évoluer notre stock.
A côté, je fais des projets variés pour des artistes qui exposent ou des clips par exemple. Depuis 5 ans je fais aussi partie d'un collectif appelé FreeSpirit pour lequel je créée des masques et des maquillages de spectacle. C'est une aventure qui a bien grandi et j'aime beaucoup travailler avec eux sur des univers fantastiques.
En 2019 j'aimerais prendre du temps pour faire une série de sculptures personnelles et des projets qui me trottent dans la tête depuis longtemps. C'est un défi vu tout ce qu'il y a à faire, mais cette nouvelle année sera riche en création !
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